Thursday, March 30, 2006

La révolte du 29 mars 1947 et ses conséquences

Pourquoi l’insurrection du 29 mars 1947 ?
La décolonisation de l’Afrique noire française n’a pas toujours été pacifique. En marge du patriotisme qu’elle démontre, l’insurrection du 29 mars 1947 résulte de la convergence de différents facteurs sociopolitiques nationaux et internationaux. Retour sur les événements

L’avènement de la seconde Guerre mondiale a fragilisé les métropoles, notamment sur le plan financier et militaire. La Grande-Bretagne a dû mobiliser deux millions d’Indiens pour renforcer son armée et la France 175 000 «indigènes» de l’Afrique noire et 275 000 de l’Afrique du Nord.

A Madagascar, 15 000 hommes ont servi sous les drapeaux français. La durée de la corvée a été prolongée jusqu’à plus de quatre mois en vue d’augmenter la production du riz. Le montant des impôts a également été accru. Les ressources agricoles ayant été monopolisées par les colons pour le ravitaillement de leurs troupes, la population souffre d’une importante pénurie en vivres.

Mais les Français doivent résister face à l’invasion allemande en 1940. Suite à la création du gouvernement vichyste, Diego-Suarez se trouve occupée par les Anglais. Les Malgaches comprennent alors que la France n’est pas invincible et qu’elle est fortement dépendante de ses colonies. Conjuguée à cette nouvelle vision, la misère endurée par la population à cause des efforts de guerre contribue au grossissement des réseaux indépendantistes des Patriotes nationalistes malgaches (Panama) et de la Jina, respectivement créés en 1941 et 1943.

En 1941, les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne élaborent la Charte des Nations unies. La charte prône l’égalité des peuples et leur droit de disposer d’eux-mêmes. L’URSS condamne le colonialisme, attendant de la décolonisation un affaiblissement du bloc occidental et l’adhésion des peuples libérés au communisme. Les Etats-Unis, ancienne colonie émancipée, se montrent favorables à l’idée d’indépendance par principe. Le général de Gaulle promet alors lors d’une conférence à Brazzaville en février 1944, l’amélioration du sort des colonies.

L’indépendance par tous les moyens

Dès le lendemain de l’après-guerre, les Anglais entament la libération de leurs colonies. Conformément à la promesse faite à Brazzaville, la France admet des représentants de leurs colonies au sein de l’Assemblée constituante. Mais il n’est nullement question d’autonomie. En outre, l’exploitation des «indigènes» et des productions agricoles continue pour combler les vides économiques provoqués par les destructions matérielles subies pendant la guerre.

L’Indochine (aujourd’hui Vietnam) sera la première à réagir face au silence de l’Hexagone. Le leader du mouvement nationaliste vietminh va autoproclamer l’indépendance du pays en mars 1946. Une importante répression sanglante va s’ensuivre. Mais Hô Chi Minh, fort du soutien de la population, entre en guerre contre la France.

Les deux députés représentant la Grande île au sein de l’Assemblée constituante réclament aussi l’indépendance du pays dans une proposition de loi datant du 21 mars 1946. L’Hexagone rejette leur revendication avec véhémence. A leur retour au pays, Raseta et Ravoahangy créent avec l’aide de Ratsimamanga le parti Mouvement démocratique pour la rénovation malgache (MDRM) pour sensibiliser le peuple sur les vrais desseins de la France.

Le parti ne tarde pas à avoir le soutien de la population et des autres mouvements. Le rejet de la proposition de loi et la réaction de la France face à l’action de l’Indochine convainquent la masse que la France n’est pas prête à accorder l’autonomie à Madagascar et qu’il faut passer par les armes pour l’obtenir. Un journal rapporte le paroxysme du malaise général en ces termes : «Un climat politique lourd et dangereux plane partout. Les esprits s’échauffent, les passions s’exaspèrent, les incidents se multiplient». Des sociétés secrètes attaquent les étrangers et les camps militaires dans diverses régions.

Inquiet de la situation, le ministre socialiste des Colonies, Marius Moutet, proclame, à la fin du mois de septembre, la «lutte contre l’autonomisme malgache». L’administration coloniale opte pour la division de l’opinion publique en fondant le Parti des déshérités de Madagascar (Padesm), constitué par des côtiers et des anciens esclaves. Le parti remet en cause la crédibilité du MDRM en responsabilisant le royaume «hova» de la colonisation de l’île. Cependant, l’ensemble de la population est gagné par l’idée de conquérir l’indépendance par tous les moyens. Raseta et Ravoahangy sont réélus au sein de l’Assemblée constituante en novembre, avec le futur écrivain Jacques Rabemananjara.



Recours inéluctable

aux armes

Les trois députés déposent une condamnation de la technique de gestion civile coloniale auprès du Haut-commissaire le 13 janvier 1947. Certains membres provinciaux du MDRM, notamment ceux de la côte Est, les colons et les sociétés secrètes vont y voir le feu vert de la révolte.

Les mouvements nationalistes font leurs préparations dans la brousse. Ils ciblent particulièrement les points stratégiques du réseau ferroviaire, où abondent les étrangers et les camps militaires. Moramanga est le foyer de développement pour la partie nord et Manakara pour le sud. Début mars, les divers partis distribuent des tracts partout, jusque dans les campagnes pour inciter les gens à bouger au nom du MDRM. Derrière les prospectus est inscrit le présumé slogan du parti : «Nous ne réclamons pas l’indépendance, nous la prenons».

Du côté des colons, on entend des rumeurs infondées selon lesquelles les Malgaches préparent des actions contre les étrangers la nuit du 29 mars. En témoigne le télégramme du chef de la Sûreté, Marcel Baron : «Bruits ont été répandus dans certaines régions qu’une action serait entreprise contre Européens le 29 mars – stop – S’agit rumeurs sans fondement réel… et dont invraisemblance n’exclut toutefois pas vigilance». Mais aucune mesure ne sera prise pour vérifier la véracité des rumeurs et pour empêcher la révolte. En revanche, l’administration envoie une colonne de la capitale le 10 mars pour renforcer la garnison de Moramanga et pour pouvoir garder la situation en main.

Pendant ce temps, les insurgés de la côte Est s’attellent à fabriquer clandestinement des sagaies. Ils essaient aussi de rassembler des fusils de guerre et de chasse avec l’aide d’anciens combattants ulcérés par l’absence de reconnaissance de la «mère patrie». Ils disposeront en tout et pour tout de 250 fusils. La bénédiction des sorciers constitue alors l’ultime arme à laquelle les villageois se fient.

Le 27 mars, le MDRM diffuse dans les villages un télégramme demandant à chacun d’éviter la violence. Sans effet. Les rebelles y verront plutôt un feu vert simulé. Quant aux colons, ils font arracher les affichettes de certaines régions, décidés à en découdre avec les sociétés secrètes et le MDRM.

Dossier réalisé par : Domoina Ratovozanany