Tuesday, March 27, 2012

Miracle ou prise de conscience ?

Il s’en est fallu de peu. Les Sénégalais se félicitent de leur transition démocratique. Quasiment le monde entier acclame une longue tradition nationale qui a permis sans heurts l’élection d’un opposant et beaucoup saluent l’élégance d’Abdoulaye Wade qui a su rapidement concéder une défaite et appeler son vainqueur pour le féliciter.

Force est de constater que lorsqu’il s’agit d’Afrique, la capacité d’amnésie et la superficialité d’analyse des grands médias internationaux sont phénoménales. À moins que tout le monde ne se contente du happy end et fasse mine d’oublier que le Sénégal paraissait promis à se retrouver à feu et à sang.

Manipulations textuelles

S’appuyant sur l’article 104 de la Constitution, l’opposition entendait empêcher une troisième candidature d’Abdoulaye Wade. Selon l’alinéa 2 de cet article, la limitation du mandat s’appliquerait au président en exercice. Mais l’alinéa 1 précise que la durée du mandat ne s’applique pas au Président en exercice. Cette curieuse bataille d’interprétation a été remportée par le sortant devant un Conseil constitutionnel qu’il avait largement contribué à nommer. Décidément, il n’y a pas que la Feuille de route qui déroute...

Abdoulaye Wade n’en était pas à sa première figure acrobatique avec la Constitution. Auparavant, il avait raccourci la durée du mandat présidentiel de 7 ans à 5 ans, avant de le rallonger à nouveau à 7 ans. Tout cela permettait à un homme de 86 ans de se présenter à nouveau à un mandat de 7 ans, après avoir été au pouvoir pendant 12 ans. Une autre tentative de modification de la Constitution était l’idée d’organiser l’élection présidentielle autour d’un « ticket présidentiel » à l’américaine, composé d’un président et d’un vice-président. Son fils Karim Wade aurait pu bénéficier de ce confortable marche-pieds pour accéder en sa compagnie au pouvoir, avec un minimum de 25% des suffrages exprimés au premier tour. La manipulation était cependant un peu trop grosse : des émeutes ont éclaté à Dakar, le mouvement du M23 naissait et Wade a fini par renoncer le projet.

Élections à la va comme je te pousse

Les protestations contre la candidature de Wade ont fait une dizaine de morts. La CEDEAO était obligée de s’en mêler. L’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo, chef des observateurs de l’Union africaine proposait juste avant le premier tour de scrutin « d’échapper au chaos » en limitant à deux ans le mandat du président sortant s’il était réélu. Le compromis était rejeté à la fois par le camp de M. Wade et par l’opposition qui exigeait un nouveau scrutin sans lui.

Inutile de dire que la campagne électorale n’eut rien d’un chemin pavé de roses ; aussi bien pouvoir qu’opposition ont eu recours à des procédés assez peu républicains. Si Wade marchandait le soutien des chefs de confréries religieuses, le chanteur Youssou N’Dour (candidat malheureux à la candidature), pratiquait carrément l’achat de conscience en annonçant qu’en cas de victoire de Macky Sall, il organiserait un concert où le ticket d’entrée gratuite serait constitué par un bulletin de vote pour Wade inutilisé. La voie des contestations post-électorales était largement ouverte...

Et pourtant, la crise s’éteignit... Les hommes politiques semblèrent brutalement se souvenir que, plus que jamais en temps de crise, ils se doivent de modérer les passions, ne pas alimenter les conflits et permettre la tenue d’un débat sain et respectueux. L’exemple de la Côte d’Ivoire et du Mali [1] semble être passé par là.

Bien entendu, pour nous autre Malgaches, toute ressemblance avec des personnes ou des faits existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite... ou devrais-je plutôt dire que cette analyse est une fiction basée, hélas, sur des faits et des personnages réels ?

Notes

[1] Comble de l’ironie, Amadou Toumani Touré faisait partie de l’équipe de médiation au Sénégal.

par Patrick A.

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