Michel Rocard, suivi par Bernard Kouchner, a évoqué l'idée d'un rapprochement entre le PS et l'UDF. Le système de coalition, pratiqué dans plusieurs pays européens, semble impossible en France. Pourquoi ?
L'idée se heurte d'abord à d'évidentes difficultés d'ordre institutionnel. Cela dit, les Français ont la mémoire courte s'ils s'étonnent qu'on évoque cette hypothèse : ils oublient que la IVe République a été marquée par les compromis et les coalitions. Ils oublient aussi que le gouvernement qu'a dirigé Michel Rocard lui-même n'était peut-être pas un gouvernement de coalition, au sens strict, mais au moins d'ouverture. Cette formule n'avait pas été improvisée mais longuement réfléchie et mûrie, étant donné les difficultés de l'Union de la gauche.
Ceci dit, j'observe qu'elle n'est, depuis, plus revenue dans le débat, sauf par le biais de l'évocation épisodique de la "dose de proportionnelle" à injecter ou non dans la pratique française. Evocation qui suscite la méfiance puisqu'elle eut pour effet de faire émerger le Front national. Par ailleurs, d'autres difficultés, plus culturelles, sont sans doute en cause.
Lesquelles ?
Il est clair que le clivage gauche-droite est une donnée fondamentale du débat français. On le fait d'ailleurs remonter à la Révolution de 1789. Le peuple français se conçoit en quelque sorte dans cette polarité. On remarque, au Parlement européen, quelle difficulté ont des Français à accepter, au début de leur mandat, une logique de compromis conduisant à des accords qu'ils jugent insuffisamment clairs, voire antidémocratiques… La coalition suppose que l'on accepte l'idée d'un système de proportionnalité au détriment de la logique "un camp contre l'autre". La démocratie peut présenter deux visages : celui de la confrontation ou celui du compromis. En France, on ne délibère pas, alors qu'ailleurs, la négociation est une obligation.
Les coalitions qui gouvernent en Europe du Nord, notamment, ne font pas l'unanimité et s'avèrent souvent fragiles…
La coalition présente plusieurs visages. Elle peut être contrainte, comme c'est le cas en Allemagne aujourd'hui. Elle est parfois très difficile, comme le montre l'Italie avec son paysage politique très fragmenté. Elle peut résulter aussi de la simple volonté de renvoyer un parti dominant dans l'opposition, comme en Scandinavie.
Enfin, elle peut se présenter comme une formule habituelle, dans le Benelux par exemple, où les alliances de type "travailliste" entre socialistes et chrétiens-démocrates se sont imposées au long des années 1990. Là, des partis, dotés d'une réelle base populaire, liés à des syndicats de masse, ont montré qu'ils pouvaient non seulement gouverner ensemble mais mener des politiques d'assainissement budgétaire très énergiques.
Il suffisait pour les socialistes de mettre de côté l'étiquette "chrétienne" de leurs partenaires ?
En quelque sorte. Mais les Français auront évidemment du mal à concevoir que Jean-Luc Dehaene, l'ancien premier ministre belge, leader du Parti chrétien-démocrate flamand, n'a que très peu de ressemblance avec François Bayrou. Lié au mouvement ouvrier chrétien, M. Dehaene dirigeait une formation réellement populaire. Il faut savoir aussi que des systèmes où les partis bénéficient d'une forte délégation, comme celui de la Belgique, offrent une sorte de compensation : ces partis sont des formations de masse, proches des citoyens. Rappelons que le PS francophone belge compte autant de membres que le PS français, dans une région 13 fois moins peuplée… Et dans les démocraties du Nord, finalement plus sociales que politiques, les partis n'épuisent pas tous les canaux de la représentation politique. Les "piliers", syndicats, associations et mouvements socioculturels y jouent un rôle important.
Pensez-vous qu'en définitive une alliance de la gauche et du centre pourrait se réaliser un jour en France ?
Lancer l'idée au moment d'une élection présidentielle, marquée par la personnification et la polarisation du débat, a peu de sens. Sauf si, hypothèse quand même improbable, François Bayrou l'emportait au deuxième tour. Mais la question est peut-être posée pour plus tard.
Parce que l'électorat centriste pourrait évoluer vers une alliance avec le PS ?
Il est clair qu'une droite modérée, nourrie d'humanisme chrétien, est proche de la social-démocratie : voyez le large spectre que couvre un Jacques Delors. Sans le système de la Ve République, la bipolarisation française ne serait sans doute pas aussi forte. Par ailleurs, la gauche socialiste, confrontée à la quasi-disparition du Parti communiste et à la probable impossibilité de "normaliser" l'extrême gauche trotskiste, évoluera également.
Le programme de Nicolas Sarkozy pourrait-il favoriser cette recomposition ?
Il est évident que beaucoup de gens de la droite modérée peuvent être effrayés par sa personnalité et son autoritarisme. Comme, à gauche, des gens peuvent être tentés de délaisser Mme Royal pour M. Bayrou.
Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants
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