Les paysannes malgaches ont longtemps souffert des contraintes des coutumes qui favorisaient les hommes. Mais depuis une dizaine d’années, elles s'affirment dans la société rurale, avec l’appui d'organismes de développement, mais aussi des hommes, soulagés d'être secondés dans leurs tâches.
C'est l’assemblée générale mensuelle des villageois de la commune de Bemanonga, au sud-ouest de Madagascar : soudain, une femme se hisse sur le podium, le bras levé, et clame d'une voix forte : "Femmes et mères de famille, mobilisons-nous ! Fini le fanaka malemy (objet fragile, en malgache, c'est-à-dire, sexe faible)". Autrefois, un tel propos, tenu en public par une femme, aurait fait scandale. Mais, depuis une dizaine d'années, cet élan féminin se manifeste dans bien des communautés rurales malgaches, "Les paysannes ont toujours souhaité sortir de cet état de soumission, mais elles ont seulement attendu le moment opportun", estime Fanja Rasoarimalala, présidente d’une ONG féminine.
Cette émancipation, appuyée par des campagnes de sensibilisation et d’alphabétisation, résulte d’une nécessité socio-économique. "Survie oblige ! Les foyers ont mis de côté les obligations traditionnelles. Les femmes sont une ressource capitale pour les revenus familiaux", explique Mavo Rakotomanga, experte en analyse sociale. Les maris, eux-mêmes, acceptent voire encouragent cette évolution. "Depuis que j’ai laissé ma femme m’aider dans mon travail, notre revenu mensuel a doublé", se félicite Ranaivosoa, un cultivateur du district de Betafo, situé au centre du pays. Dans diverses communes rurales, les femmes sont même invitées à s’impliquer davantage dans la direction de la communauté. A en croire, Ranaivosoa, "elles prennent à cœur leur engagement et leur travail est plus soigné que celui des hommes". Résultat : la production agricole augmente et les zones rurales s'animent "depuis que les hommes et les femmes se donnent la main dans diverses activités", à en croire Lucien Rakotondranaivo, le président d’un des Fokontany (cellule de base) de Betafo.
"Objet fragile au service des hommes"
La tradition assimilait la femme à "un objet fragile au service des hommes", rappelle Fanja Rasoarimanana. Une épouse devait obéissance et soumission à son mari et être à son service à tout moment." Pour Nenibe Véronique, une octogénaire, "des femmes s’exprimant en public, prenant le repas avant le mari ou travaillant, cela aurait été à la fois honteux et irrespectueux à l’égard des hommes et des ancêtres."
"La femme 'objet fragile' c'est de l’histoire ancienne, juge Gisèle Rabesahala, femme politique et secrétaire nationale du parti politique AKFM. Elles sont nombreuses aujourd'hui à travailler pour subvenir aux besoins familiaux." Bon nombre de paysannes s’expriment ouvertement, face à leurs maris comme en public, et la plupart s'engagent dans leurs communautés: "Je me sens revivre. Je n’ai plus peur de m’exprimer, car je sais que j’ai aussi ma part de responsabilité dans le développement de la société", lance Ravelomanana, une paysanne d’Alasora, une commune proche de la capitale.
Selon Julie Rakotozafy, spécialiste en organisations paysannes au sein du Programme national de soutien au développement rural (PSDR), "60 % des femmes rurales sont sorties de l’emprise des us et coutumes pour enfin mettre leur savoir au service du monde rural, contre 5 % en 1979". Voir des femmes leaders d’association, présidentes de village ou chefs de foyer est devenu fréquent en brousse. Elles effectuent aussi des travaux longtemps considérés comme masculins : labour, conduite de charrettes, maçonnerie, construction… Tout cela en plus de l'entretien de leur foyer, qui continue de leur incomber complètement : "Je me lève très tôt chaque matin pour m’occuper du repas et de la maison, car le reste de ma journée sera consacrée à l’atelier de couture", raconte Vero Ratsimba, une paysanne de Betafo.
Depuis 8 ans, les rurales sont appuyées par le gouvernement ainsi que divers organismes de développement (PSDR, coopérations bilatérales, ONG…). Les hommes, qui apprécient leur aide aux champs, leur apprennent parfois des techniques agricoles. Les villageoises actives ont aussi été dotées de petit matériel : machines à coudre, outils de jardinage, etc. Des formations, notamment en couture, maroquinerie, élevage et agriculture, leur ont été également dispensées en plus de cours d'alphabétisation.
Mavo Rakotomanga précise que cette montée en puissance des femmes ne résulte pas simplement d'une revendication féministe ni d'une lutte pour l’égalité des sexes. Divers droits restent encore à conquérir par les femmes, car, dans certaines régions, elles n’ont droit ni à l’héritage ni à la garde des enfants en cas de divorce…
Madagascar
Fabien R. Randriamihaja
(Syfia Madagascar)
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